L’Europe Politique et l’Europe réelle

* De gauche à droite, L’Europe des 28, le ministre de l’intérieur italien Matteo Salvini, Migrants africains allant en Europe, Drapeaux Chine/USA.

Les élections européennes du 26 mai 2019 et les importants scores des partis eurosceptiques mettent en danger l’Europe de la concertation, formée après la seconde guerre mondiale. Le déclin actuel provient d’erreurs de conception, d’un contexte explosif, et d’un manque de volonté. L’Europe politique voulue par les élites et souhaité par les peuples s’étiola au fil des décennies par la lenteur de son évolution, pour ne devenir qu’un tout au fonctionnement lourd.

schéma institution UE

Un système “pour entretenir la paix”

L’Europe d’après 1945 est dévastée et l’idée d’éviter tout conflit prend le pas sur tout autre. Le système se construit autour d’un rêve partagé, qui ne peut se démarquer des USA. Les Etats-Unis contribuent à la libération de l’Europe avec la Russie, et lance le plan Marshall pour s’ancrer au marché européen. Cette Europe ne peut s’émanciper économiquement et militairement (1). Là est sa première faiblesse, inavouable et mortelle. Le vieux monde ne peut manœuvrer comme un tout et se retrouve limité à des initiatives nationales, pesant peu sur l’échiquier mondial. Idéal sans souveraineté, l’Union Européenne ne s’affirme sur aucun dossier et apparaît comme un immense marché commun. Son système politique évolue lentement au gré des accords faits et défaits ; avancer pour mieux reculer ? Ce n’est pas le cas ici. La première élection européenne élit en 1979 son assemblée, soit 29 ans après la déclaration de Robert Schumann qui lance l’UE. Tout met trop de temps, tellement que les peuples perdent de vue les objectifs premiers face aux défis contemporains. Cette entente entre peuples et élites anime la matrice originelle de l’idée d’un grand ensemble européen, sans elle l’Union perd de sa résilience.

Un ensemble inadapté

Les années 2000 marquent le déclin d’une envie d’Europe de la paix. Jusque-là, les atermoiements de l’Europe lui avaient été pardonné, les peuples n’ayant jamais eu besoin de sa protection. La crise économique de 2007 crée des mésententes entre nations, jusqu’au point de rupture entre l’Allemagne et la Grèce (2). La solidarité apparait finalement comme une promesse non tenue. Les pays du Nord ne souhaitent pas “payer” pour les dépensiers du Sud. Comment évoquer un grand ensemble s’il n’y a aucune fraternité dans la difficulté ? Ce premier coup de boutoir à la forteresse Europe n’éveil pas la vigilance de ses artisans. Une fois la crise passée, les choses rentreront dans l’ordre et la construction reprendra pensaient-ils. Pourtant, les difficultés s’accumulent et ne se ressemblent pas. Les crises russes avec l’intervention armée en Géorgie et en Ukraine montrent la faiblesse militaire et institutionnelle du vieux continent (3). La crise migratoire accentue les clivages entre nations du Sud et du Nord, tout en renforçant les partis eurosceptiques. Dernière fêlure et non des moindre, l’absence de réponse collective face aux dangers d’une Amérique ne cachant plus son égoïsme et d’une Chine ayant soif de puissance. L’Europe existe-t-elle ? Il serait tant de le démontrer.

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La volonté commune

La paix a été la ligne conductrice et fédératrice de ce rêve, source de la volonté de bâtir un ensemble plus grand. Actuellement, chacun y va de sa vision, chacun cherche à s’imposer, chacun échoue. Les grandes nations que sont la France et l’Allemagne se disputent le façonnement de l’UE. De cette concurrence plus qu’une émulation, tous se fourvoient et font perdre un temps précieux. Les peuples et les politiques divergent sur la vision à adopter, signe d’un mal plus profond. Le Brexit donne un avertissement dont il faut tenir compte. Le modèle de la construction européenne doit être revu, il ne faut plus se fédérer autour de la paix. L’idée première de l’Europe devrait être d’assurer la sécurité de ses concitoyens avec comme objectif l’affirmation de sa puissance. Comment aller de l’avant avec des patriotismes atrophiés, abandonnés aux partis eurosceptiques ? La réappropriation semble la seule alternative viable. Il serait impossible d’unir un peuple sans utiliser ce sentiment (4). La Rome Antique, la France de la guerre de 100 ans et l’Allemagne de Bismarck ont tous utilisé le ressort affectif touchant à la nation pour se mobiliser. Il faut créer une nouvelle idée de l’Europe, comme un tout, avec un ensemble de peuples aux racines communes.

La plus grande construction politique de l’histoire

Tout n’est pas encore joué, mais sans une réaction rapide nous avons des chances de voir l’affaiblissement durable de l’Union. Bruxelles doit affirmer son indépendance et passer à un système décisionnel plus rapide. Actuellement la concertation des 28 nuit à la réactivité de ce proto-état. Bien sûr, nous sommes en démocratie et il est naturel de prendre en compte l’avis de chacun, mais la réalité n’attend pas. La constitution d’une force militaire européenne apparaitrait comme un premier pas dans le bon sens pour la création d’un état souverain. Les grandes nations comme l’Allemagne et la France doivent abandonner une partie de leur pouvoirs régaliens et montrer aux autres l’exemple à suivre.

(1) Les Etats-Unis avec le plan Marshall appuient la reconstruction du continent, tout en devenant le créditeur des nations européennes. Parallèlement à cela Washington crée l’OTAN et contrecarre toute velléité d’armée européenne. L’alliance atlantique sonne le glas de l’Union Européenne de Défense (UED).

(2) Berlin refusa d’appuyer un plan d’aide pour la Grèce sans un durcissement des réformes économiques, afin de garantir le remboursement des sommes allouées.

(3) La réponse aux crises russes se limite à des avertissements et des sanctions économiques. Les institutions européennes nécessitent la prise en compte de l’avis de chacun, ce qui pèse sur le temps de réponse. Il s’agit d’un problème majeur du fonctionnement de l’UE. En temps normal cela ne pose pas de problème, mais en temps de crise, la solution tarde à venir.

(4) Peut-on parler de peuple européen ? Il y a une histoire commune, une économie interconnectée, mais pas de langage. Cet élément fait partie intégrante de l’identité d’un seul et même peuple. Il faut que l’Europe s’en attribue un, alors on pourra entrevoir la possibilité pour le vieux monde de prendre le chemin pour créer une unique nation.

One thought on “L’Europe Politique et l’Europe réelle

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