La fin du rêve américain

*De gauche à droite : Scott Morrison et ses nouveaux alliés, bourse de Hong-Kong, île de Fiery Cross Reef – archipel des Spratly – aménagé par la Chine, et cession du parlement européen.

Le 16 septembre 2021, le premier ministre australien Scott Morrison annonce la création d’une alliance “AUKUS“, incluant les U.S.A. et le Royaume-Uni. Cette déclaration bouleverse la France et sa vision d’une Europe de la défense. Plus que cela, ce trio du pacifique symbolise le changement de paradigme de la stratégie mondiale de Washington. Pendant 60 ans, l’Europe a été au centre de toutes les attentions et il y avait de quoi. Premier marché économique et zone de tension principale de la guerre froide, l’importance du continent ne pouvait être ignoré. L’implosion de l’U.R.S.S., l’émergence de la Chine et sa rapide montée en puissance changent la donne. L’Indopacifique acquiert dès lors une importance sans commune mesure, avec ses voies d’approvisionnements et l’apparition de foyers de tensions, sans omettre que cette zone comprend 60% du PIB mondial. Pour contrôler l’économie globale, il faut contrôler ce secteur.

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Le nouvel axe

Les U.S.A., le Royaume-Uni et l’Australie collaborent depuis des décennies au sein des Five Eyes(1) et du Quad(2). La création d’AUKUS amorce une restructuration des efforts américains tournés vers l’Asie et plus particulièrement la Chine. L’alliance concrétise la politique du pivot asiatique théorisé et initié par Barack Obama le 16 et 17 novembre 2011(3) lors d’un voyage en Australie. Il a fallut pas moins de 10 ans pour lancer le programme d'”endiguement” à l’adresse de Pékin. Le revirement de Canberra concernant le contrat du siècle de Naval Group ne fait que refléter le basculement opéré ces dernières années. L’Empire du milieu passe d’une politique de réserve à une politique d’affirmation de plus en plus prononcée(4). La volonté de l’île-continent d’acquérir des sous-marins nucléaires américains découle du souhait d’obtenir une force de dissuasion et d’affirmer ses relations étroites avec les États-Unis – son protecteur -. Cette entente entre les trois nations apparaît comme l’une des pièces maîtresses du dispositif États-unien dans l’Indopacifique et la touche finale pour concrétiser ce pivot asiatique. Les Five Eyes se chargent de la collecte d’informations, le Quad constitueraient un organisme d’influence politique et économique et enfin AUKUS apparaît comme le volet militaire. Ces alliances peuvent s’élargir ou fusionner au besoin. Petit à petit, la maison blanche exerce une pression à l’encontre de l’Empire du milieu par sa façade maritime et ses frontières terrestres. Il ne reste dès lors qu’une échappatoire “l’Europe” par les nouvelles routes de la soie, que la maison blanche influence grandement à l’heure actuelle.

Source Aerion24 – Cliquez pour agrandir –

L’Europe

La révocation du contrat du siècle révèle outre la myopie française, la division de l’Europe. Chacune des nations du continent possèdent ses intérêts propres et son histoire. Les puissances mondiales profitent de ces divergences pour influer sur le cours des évènements et en tirer avantages. Trois nations cherchent à imprimer leurs marques :

  • La Russie; Les rapports entre l’U.E. et Moscou se compliquent avec l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en 2000. Il lance une politique de réaffirmation nationale(5) et prend ombrage du rapprochement entre Bruxelles et l’Ukraine post-Ianoukovytch. Sa réponse consiste à affaiblir Kiev et a occuper de manière continue une partie de son territoire. Moscou garantit ainsi l’absence d’adhésion du plus grand pays de l’Europe de l’est, à l’U.E. ou à l’O.T.A.N. en faisant peser une action militaire. Le Kremlin agite cette menace, tout en sachant que le vieux continent s’avère vital pour son économie – 55% de ses échanges sont avec l’U.E. -.
  • La Chine; L’Empire du milieu voit en l’Europe une opportunité, celle d’acquérir des nouveaux marchés et technologies, tout en assurant sa suprématie. La construction des nouvelles routes de la soie permet de connecter directement l’ancien monde au premier marché asiatique. Cette route permet de désenclaver le pays de Mao en lui ouvrant le marché européen, tout en facilitant un accès à l’Afrique. Pékin consolide sa stratégie en acquérant différentes structures comme le port du Pirée ou en proposant des emprunts irremboursables comme l’illustre le cas Monténégrin.
  • Les U.S.A.; Le véritable guide de l’Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale dispose de l’ouest et depuis la dislocation de l’U.R.S.S. de l’est – en partie -. Washington joue sur les divisions de l’U.E. en se servant de Berlin comme partenaire économique et politique principal pour servir de relais à son influence. La maison blanche fournit nombres d’armées européennes en matériel de pointe(6) et se rend ainsi indispensable. Sans les U.S.A. et l’O.T.A.N., il n’y aurait pas de protection contre le voisin russe. Seule la France dispose d’une capacité militaire conséquente.

La constitution d’un pouvoir politique unifié paraît improbable à court et moyen terme au vue des divisions. Soixante années après sa création, l’U.E. avance à tâtons dans un monde qui va à grande vitesse. Il serait temps pour l’ancien monde de devenir un acteur majeur et non plus un enjeu secondaire.

Source fondation Robert Schuman

La France, seule nation européenne

La France nourrit le souhait d’une grande Europe, tout au long de son histoire comme multiplicateur de puissance, puis pour contrebalancer la puissance germanique(7). L’émergence de l’Allemagne et plus particulièrement sa collaboration étroite avec les U.S.A. contrarie ses projets et l’isole sur la scène européenne. La nation de Molière dispose pourtant d’atouts(8), la rendant indispensable au projet d’union continental. Malgré cela, elle semble recluse dans sa stature d’ancienne grande puissance et éprouve des difficultés à enclencher une dynamique nouvelle. L’affaire des sous marins australiens et le manque de soutien des autres nations européennes montre l’absence de cohésion et pire, elle pose la question de l’avenir d’une Europe souveraine. Les divergences d’opinions, voire la concurrence entre les pays du continent sapent les divers projets industriels communs. Le duo franco-allemand illustre cette problématique avec l’achat de patrouilleurs américains par l’Allemagne au dépend du projet MAWS. Nous pouvons aussi citer le dossier gréco-turque, qui symbolise l’étendue du fossé entre les déclarations volontaires des nations et la réalité(9). La situation ne semble avoir évolué qu’économiquement en vue de faire de l’Union un marché soumis au plus influent. Paris essaye d’imprimer une Europe plus indépendante, mais elle se heurte pour l’instant à Washington. A l’époque gaullienne, la Françafrique donnait une marge de manœuvre à la France et lui permettait d’afficher sa singularité. Il fallait une France forte durant la guerre froide. L’Europe n’étant plus un centre de tension, avoir une France “indépendante” ne représente que peu d’intérêt. Il s’avère plus judicieux d’avoir une économie vigoureuse comme alliée, telle que l’Allemagne. Paris se doit de prouver son utilité en étant bien plus offensive et déterminée qu’actuellement. Elle est seule, les autres pays ne voyant qu’une Europe américaine comme par le passé. En étant l’unique armée de premier plan du continent, Paris possède un atout. Il serait temps de le valoriser à l’orée d’une époque où les confrontations de hautes intensités se multiplieront.

Maquette du SCAF par Dassault en 2018 – Source terra bellum

Conclusion

La mise au ban de l’Europe ne date pas d’hier, elle a été théorisé à de nombreuses reprises avec la croissance de l’Asie. La nomination de Xi Jinping lance la politique d’expansion du géant asiatique, avec une montée en puissance graduelle. Canberra apparaît comme la première victime d’importance de ce changement de posture et oblige la maison blanche à acter le basculement tant annoncé. L’Australie représente un atout de poids avec ses terres rares, sa position dans l’Indopacifique et sa culture anglophone. La laisser seule davantage de temps face à Pékin aurait eu des répercussions dramatiques sur la crédibilité américaine, notamment après l’épisode afghan. L’Alliance AUKUS avertit la Chine qu’elle n’est plus seule dans la région et démontre la fermeté de Washington. Le message à l’adresse de Pékin est simple : la première puissance mondiale se prépare à répondre à toutes agressions contre les membres de cette coalition anglophone, il en va de son leadership(10). Les États-unis ne peuvent tenir sur tous les fronts et la Russie apparaît bien moins dangereuse que la Chine. L’Europe souffre de sa dépendance et le temps d’adopter une véritable doctrine commune se fait de plus en plus pressant.

(1) Cette alliance entre les U.S.A., le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie sert à recueillir des informations via les télécommunications, notamment avec le système échelon.

(2) Le Quad complète l’AUKUS – militaires – et les Five Eyes – informations – en constituant des relations économiques et diplomatiques privilégiées, afin de permettre à Washington de compléter son glacis face à Pékin.

(3) Barak Obama annonce le 16 novembre 2011 le changement de cap de la politique extérieure américaine et évoque le pivot vers l’Asie (Pour voir son intervention https://www.youtube.com/watch?v=8_hSqLEtX_Y). Le 17 novembre, il se rend à Darwin pour annoncer le déploiement de 250 marines, qui augure un engagement de plus en plus prononcé.

(4) Avec la nomination de Xi Jinping en 2013, la Chine passe à l’offensive dans son voisinage proche, ceci afin d’assurer ses approvisionnements. L’installation d’une base sur les Spratley en 2014 permet de prendre le contrôle d’un axe maritime vital. Zhongnanhai – centre du pouvoir chinois – use de la force brute ou de son économie pour accroitre son influence. L’Australie a été directement visée par la pénétration chinoise et Canberra réagit en 2017 avec une loi contre les ingérences étrangères. Dès lors, les tensions entre les deux pays ne cessent et vont crescendo.

(5) La seconde guerre de Tchétchénie, la crise ukrainienne et la modernisation de l’armée russe servent ce projet.

(6) L’industrie de l’armement américain fournit nombres de pièces aux armées européennes, cela va des chasseurs aux turbines, en passant par les puces électroniques. Il n’y a plus de pays européens qui remplit 100% de ses besoins militaires indépendamment.

(7) La réunification de l’Allemagne remis en question la position hégémonique de la France en Europe de l’ouest. Les dirigeants français voyaient en Bruxelles un moyen pour contrebalancer cette grande économie et l’amener à collaborer sur des dossiers communs. Une véritable ligne européenne ne s’est toujours pas dégagée à l’heure actuelle…

(8) Avec la deuxième ZEE mondiale, et des positions stratégiques comme Kourou ou la nouvelle-Calédonie, la France ne pourra que peser au sein d’une U.E. indépendante.

(9) Ankara achète des sous marins allemands et la Grèce des frégates à la France dans une séquence de tension entre les deux nations, démontrant le manque de cohérence de la politique européenne.

(10) Cette coalition se constitue pour garantir l’intégrité territoriale de Canberra et non de Taipei. La protection de la République de Taïwan est du seul fait de l’île, la question d’une aide américaine en cas d’invasion est dans tous les esprits, que ce soit chinois ou américain.