Mossoul, Raqqa, Derna, et Palmyre, nous appellent de leur glorieux passé et de leur funeste présent, symbole de la réussite stratégique de l’État Islamique. Il y a un an, cette organisation terroriste proclame par une démonstration de force son existence(1). Elle persiste dans la même voie, sans qu’aucune mesure efficace ne soit prise par ses opposants aussi bien occidentaux, qu’orientaux. La poursuite de l’expansion du “Califat” démontre l’incompréhension du fonctionnement de cette “communauté combattante”. Les bombardements ne s’additionnent pas à une intervention terrestre. Ils servent simplement à affaiblir les infrastructures et la logistique ennemie, en attendant que les tentatives de reconquêtes par les nationaux aboutissent. Ces efforts ne donnent aucun résultat, pour la simple raison que la matrice de cet organisme est la “volonté”. L’absence de véhicules, d’armes lourdes et la présence d’un ennemi numériquement supérieur ne peuvent étonnamment, être une force suffisante d’opposition. Leur volonté inébranlable alliée à une ferveur fanatique contribue au développement de l’aura effroyable, qui les portent sur le champs de bataille(2). Une intervention terrestre extérieure semble l’unique solution à court terme(3). En avons-nous encore le temps ?
Plus les conquêtes augmentent, plus le vivier de combattants s’accroît, plus l’aura de ces barbares impose le respect dans le milieu djihadiste. De nombreux groupes terroristes rejoignent leur rang, pour jouir de cette renommée(4). Les dirigeants terroristes disposent d’un potentiel accru de recrutement chez un grand nombre d’individus de confession musulmane sunnite. La propagande diffusée sur internet avec sa “brutalité organisée” dessine l’image d’une conquête victorieuse sans merci(5). Pour mener cette guerre, il faut des “guerriers” prêt à se sacrifier et à tuer. Ces candidats au djihad forment les groupes “cibles”, qui s’engagent selon leurs ressentis :
– Suite à l’absence de résultat rapide du printemps arabe, les populations brimées par les anciens régimes ou frustrées recherchent une autorité forte et juste pour garantir leur avenir ; ils forment le groupe A.
– En se présentant comme les véritables croyants, les djihadistes se posent comme les défenseurs de la religion musulmane et augmentent ainsi leur capacité de recrutement en séduisant les individus qui cherchent à qualifier leur foi ; c’est le groupe B.
– Nombres de ces peuples vouent à l’occident une animosité héritée de la colonisation et éprouvent un sentiment de revanche. Les dirigeants terroristes en saisissent l’importance, ils se posent en héraut de la lutte et en artisan du changement. La conquête d’une partie de la Syrie et de l’Irak efface la frontière tracée lors des accords de Sykes-Picot(6) datant de l’époque coloniale. Ils démontrent ainsi leur capacité à changer un monde bâti par “l’étranger”, ce qui est une première. C’est le groupe C.
Ces trois groupes représentent les trois sentiments primordiaux, qui font qu’un individu se joint à l’EI(7). Cette grille d’analyse n’est pas exhaustive, mais forme un outil de compréhension. Elle appréhende quels sont les éléments facilitant la diffusion de l’idéologique terroriste. Autre paramètre capital dans le processus de radicalisation, pour une partie des musulmans la supériorité de la religion sur l’État est un fait. La constitution d’une théocratie s’avère être la suite logique de l’évolution du pouvoir étatique, “l’oumma“(8). Les gouvernements utilisant la religion musulmane comme facteur de stabilité sociale(9) jouent avec une force, qui risque de constituer les premières failles. En tenant compte des nombreux paramètres cités et du contexte intérieur, il nous est possible de définir les pays les plus fragile face à cette menace :
– Point d’appui idéal pour l’expansion des groupuscules terroristes, la Libye sombre chaque jour un peu plus dans le chaos. L’intervention de 2011(10) s’affirme comme un échec cuisant, une fois Kadhafi neutralisé, les alliés quittent Tripoli aussi rapidement qu’ils sont intervenus. Sans appui international, le nouveau gouvernement Libyen ne peut désarmer les milices et organiser des élections(11). Les conflits tribaux mis sous silence par l’ancien régime effectuent leur grand retour(12). Les stocks d’armes du régime kadhafiste alimentent les conflits intérieurs et extérieurs. Il s’ajoute à ce contexte interne complexe, l’implantation d’organisations terroristes venues de l’extérieur(13). Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) en profite pour se créer une nouvelle base d’opérations(14) et accroitre son emprise sur la contrebande du sahel(15). En 2013, l’opération serval(16) initiée par la France abat toute velléité islamiste de se servir de la Libye, comme point d’appui pour conquérir des territoires au Mali. Depuis peu, la Libye sert de base arrière à l’État Islamique, qui travaille doucement son insertion. Derna est la première ville à tomber sous leur coupe(17), suivi de Syrte(18). Ils se placent ainsi face à l’Europe et effrayent les opinions occidentales d’autant plus facilement, jouant notamment sur ses craintes de voir débarquer des vagues de migrants infiltrées de terroristes.
– La Tunisie voisine ne peut lutter contre un groupe aussi expérimenté, les attaques du Bardot et de Sousse(19) n’en sont que les premières conséquences. La révolution arabe et l’épuration d’une partie de l’administration entravent la remise à neuf de l’appareil étatique. Ces évènements pèsent sur l’économie tunisienne, particulièrement sur le tourisme, première ressource du pays. La confiance de la population s’étiole avec le manque de résultat, et alimente les groupuscules extrémistes. Sans aide internationale, le pouvoir risque de perdre la main sur le pays.
– Théâtre d’une guerre civile opposant l’armée et les islamiques durant les années 1990, l’Algérie possède un appareil militaire robuste et le souvenir de la décennie noire ôte toute envie du peuple de se révolter. Qui dans ce pays n’a pas le souvenir douloureux d’un membre disparu ? La richesse pétrolière permet d’appuyer ce sentiment pacifiste en subventionnant les produits de première nécessité(20). Pourtant, la présence de radicaux islamiques perdure et gagne en puissance, preuve en est le recul du gouvernement sur la légalisation de l’alcool face à la contestation(21). Certes, Alger dispose d’un appareil sécuritaire rodé, mais que faire si une organisation comme l’État Islamique seconde une révolte ? Écraser la rébellion ne sera pas aussi aisé qu’en 1990. La chute de la valeur du pétrole ampute le gouvernement algérien d’un revenu permettant l’achat de la paix sociale, si la guerre des prix perdure(22), ces spéculations deviendront des faits.
– En Égypte, la contre-révolution lancée par l’armée permet d’abattre le pouvoir de Mohammed Morsi(23), mais aggrave les tensions avec ses partisans. Les mesures religieuses d’Al-sissi sont destinées à tempérer les revendications des islamistes. Dans le Sinaï, une rébellion touareg a prêté allégeance à l’EI, et ne cesse dès lors de perpétrer des attentats. Dans ces conditions, le Caire conduit une politique ferme tout en posant les bases d’une relance économique(24). Le seul danger réside dans le potentiel échec des plans du pouvoir, si il n’arrive pas à moderniser rapidement le pays.
– En Syrie, ainsi qu’en Irak, la situation a dépassé le stade de la spéculation. Une intervention plus réfléchie et percutante doit être lancée le plus rapidement possible. La chute de Bagdad et de Damas constituait la confirmation de l’État islamique en tant que tel.
– Au Nigeria, la révolte de Boko Haram amorcée en 2009 se distingue par sa brutalité et son ampleur(25). Première puissance d’Afrique de par son économie et sa démographie, cette nation dispose d’une rébellion à sa dimension, avec des milliers de membres. Elle frappe au Cameroun, ainsi qu’au Tchad(26). Récemment une coalition africaine s’est formée pour la combattre(27), mais l’organisation terroriste s’enracine dans l’antagonisme entre le nord et le sud du Nigeria et nourrit la crise. Abuja prend le sujet au sérieux depuis la dernière élection présidentielle(28), avec un remaniement militaires dans les zones d’insurrections. Le rattachement de Boko Haram à L’EI aiguise la capacité de la secte et modifie son mode opératoire(29). Seule une implication totale du pouvoir nigérian éviterait une propagation du problème en direction du sahel, véritable “carrefour du terrorisme”.
– En Palestine, la dégradation de la situation continue depuis des décennies et la succession d’opération militaire israélienne(30) discrédite les dirigeants. Les victoires de l’EI inspirent déjà un certain nombre d’islamistes(31). Si jamais l’organisation terroriste récupère la cause Palestinienne à son profit, une catastrophe serait dès lors un moindre mal. Cette option paraît de plus en plus probable, la pression de Tel-Aviv ne diminue pas malgré quelques mesures symboliques(32) et l’élection de nationalistes n’annonce aucun changement positif(33).

A droite Ayelet Shaked, Ministre de la Justice d’Israël, numéro deux du parti religieux d’extrême droite.
– Berceau historique du djihadisme mondial, l’Afghanistan et le Pakistan connaissent des phases de terrorismes plus ou moins actives. Islamabad dispose d’une armée expérimentée, cela a notamment permis la reconquête de la vallée du Swat en 2009(34). De son côté, le pouvoir afghan fait face à une insurrection particulièrement vive, même si la situation tourne à l’avantage du gouvernement grâce à l’aide extérieure(35). La source d’instabilité provient des zones tribales où les deux États n’ont que peu d’influences et d’infrastructures.
– Dernier pays a être cité, la Turquie. Héritier de la dynastie ottomane et de son statut spirituel, le berceau du premier empire musulman est en contact direct avec “l’Organisation Islamique”. Le départ pour le Djihad passe par ce territoire, où les mesures restrictives se sont avérées bien minces. Le gouvernement d’Ankara use de l’EI pour affaiblir les Kurdes(36) et le pouvoir Syrien(37). La guerre dans la région est l’occasion d’accroître son influence. Cette ambiguïté se retourne avec le temps contre la nation turc, l’attentat du 20 juillet 2015(38) et ses conséquences démontrent la poursuite du jeu trouble. Le pays est infiltré d’agents de l’État Islamique(39) et une entrée en guerre ouverte contre les djihadiste amènerait la Turquie dans le Chaos. Istanbul a confirmé qu’il n’y aura pas d’intervention terrestre, cela appuie donc l’hypothèse que les frappes contre les troupes du Califat seront limitées. Une zone tampon serait prévue entre la Turquie et la Syrie, négociée avec les américains(40). L’objectif principal du gouvernement turc reste l’affaiblissement de la Syrie et du PKK. Sur le court terme, l’AKP est la grande gagnante, mais si Damas et les Peshmergas sortent vainqueurs, la note sera pour le moins difficile à digérer.
Au cours de cet article, nous avons vu quels sont les moyens dont use l’EI pour convertir et s’implanter. Il apparaît que nous ne sommes plus face à une simple guerre conventionnelle, ni asymétrique traditionnel, ni même subversive. Le conflit d’aujourd’hui est la synthèse de tout cela, les terroristes nous attaque dans notre sanctuaire, dans notre idéologie en la mettant à l’épreuve avec toutes les armes dont ils disposent. Cette conclusion semble bien mince, mais la meilleur réponse se manifestera simplement par une totale implication de notre part pour répondre à ce défi du 21ème siècle.
(1)La prise de Mossoul le 10 juin 2014 et l’avancée rapide en direction de Bagdad montre la capacité opérationnelle de l’organisation, qui proclame la création d’un Califat ( lien ).
(2)La prise de Palmyre comme bien d’autres a été accomplie avec un opposant supérieur numériquement. Tout commence par des attentats suicides sur les points de contrôles, suivi d’une offensive, effrayés par la volonté des djihadistes et l’absence de peur face à la mort les opposants cèdent ( Lien vers une émission de France 5 sur les combats contre l’EI ).
(3)Pour le long et le moyen terme voir articles précédents sur l’État islamique ( Quelle stratégie contre l’État Islamique ? et l’État Islamique, nouvelle icône de la barbarie mondiale )
(4)Le 7 mars 2015, le groupe terroriste nigérian Boko Haram joint Daech ( lien ). Il n’est pas le seul comme de nombreux autres groupes à travers le monde, au Pakistan, en Algérie etc.
(6)http://www.monde-diplomatique.fr/2003/04/LAURENS/10102#nh6/www.monde-diplomatique.fr
(7)Il ne faut pas oublier les djihadistes occidentaux, qui vouent leur allégeance pour des raisons similaires, nuancé par le contexte intérieur et historique de la nation d’origine.
(8)http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/umma/80509
(9)Le gouvernement Algérien se sert de la religion pour contrôler la population, en se posant en garant des institutions.
(12)http://rue89.nouvelobs.com/2014/08/17/guerre-milices-libye-senfonce-somalisation-254228
(15)http://geopolis.francetvinfo.fr/lorganisation-des-filieres-de-drogue-dans-le-sahel-17351
(17)http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20141126.OBS6187/derna-la-ville-libyenne-ou-flotte-le-drapeau-noir-de-l-ei.html. La ville sera reprise par des milices islamiques : http://www.rtbf.be/info/dossier/l-etat-islamique-menace-t-il-le-monde/detail_l-etat-islamique-dit-avoir-ete-chasse-de-la-ville-libyenne-de-derna?id=9030609
(20)Le gouvernement prévient toute révolte en subvenant aux besoins alimentaires des algériens. http://www.huffpostmaghreb.com/2014/12/18/subvention-algerie-chute-_n_6348730.html
(22)http://www.contrepoints.org/2015/05/28/209073-petrole-la-guerre-des-prix-nest-pas-terminee
(24)http://www.coface.fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Egypte
(25)http://www.monde-diplomatique.fr/2012/04/VICKY/47604
(29)http://www.lepoint.fr/monde/boko-haram-rejoint-l-etat-islamique-08-03-2015-1911099_24.php
(30)http://www.rfi.fr/moyen-orient/20110919-infographie-chronologie-palestine-1947-2011/
(32)http://www.lepoint.fr/monde/quand-israel-discute-avec-le-hamas-27-07-2015-1952648_24.php
(33)http://www.lepoint.fr/monde/israel-le-nouveau-visage-du-nationalisme-juif-11-07-2015-1943706_24.php