En février 2014, l’Ukraine connait une crise comme l’Europe n’en a pas vu depuis les frappes de l’O.T.A.N. contre la Serbie en 1998. Ce foyer de tension symbolise l’absence évidente d’avancée diplomatique depuis la chute de l’U.R.S.S. Pour appréhender de la meilleure des manières la situation actuelle, il faut voir les rapports antérieurs entre les différents acteurs, et la manière dont l’enjeu de ce conflit est perçu.
Dans l’imaginaire russe, l’Ukraine est à la Russie, ce que la France est pour le Québec, le berceau de ses origines, la Rus’ de Kiev. La petite Russie subit le joug de ses puissants voisins au fil des siècles (Russie impériale, Royaume de Pologne et de Lituanie). Elle acquiert brièvement son indépendance entre 1917 et 1920, pour devenir ensuite une des républiques de l’U.R.S.S jusqu’à la chute de l’Union Soviétique (1991). L’Ukraine est la seule des républiques de l’U.R.S.S., qui possède un arsenal nucléaire et qui a reçu un pan de territoire, signe de son importance. Indépendante depuis 1991, elle conserve des liens forts avec la nation des Tsars en devenant membre de la CEI, ce qui facilite la signature du « Mémorandum de Budapest sur les garanties de sécurité » en 1994. Ménagé par le Kremlin, ce pays d’Europe centrale tient une place particulière dans le dispositif défensif mis en place par Vladimir Poutine au début du 21ème siècle. Ce dernier souhaite créer un espace à l’image de l’Union Européenne, avec comme membres les anciennes républiques soviétiques. Cette Union Eurasiatique permet sur le très long terme, la réminiscence d’un Empire, véritable héritier de l’Union des Républiques Socialistes. Pour l’Union Européenne, l’adhésion de l’Ukraine poursuit la politique d’extension depuis la chute du mur de Berlin avec l’intégration des anciennes républiques socialistes. Cette entrée dans le marché européen ouvre à ces nations de nouveaux débouchés économiques, mais aussi permet à l’Europe d’agrandir sa sphère d’influence( ce sont des marchés en moins pour la Russie). Bien souvent, les nations de l’est souhaitent goûter au modèle de croissance occidentale, ce déni du modèle “slave” se double d’une peur de la Russie et de son armée. L’ O.T.A.N. pendant occidentale du Pacte de Varsovie rassure les craintes des anciens satellites communistes, qui y adhèrent.
Deux visions diamétralement opposées sur la place des nations de l’est dans le concert international se confrontent, pour la première fois en Géorgie en 2008. La Russie n’hésite pas à envoyer ses troupes pour affaiblir l’appareil militaire géorgien, tout en conservant un moyen de pression à proximité (Ossétie du sud et Abkhazie). Ce schéma de gestion de crise russe est utilisé lorsqu’un pays sort de son “pré-carré”.
La violence de la réponse de Moscou à l’adhésion de l’Ukraine correspond à l’enjeu que représente ce pays. Tout commence en 2004 avec la révolution orange, le berceau de la civilisation slave semble basculer vers l’Europe, à la faveur d’un courant populaire pro-démocratie. Le gouvernement issu du mouvement de contestation échoue à moderniser l’Ukraine et à abattre la corruption. La victoire de 2004 n’a pas consacré l’ancrage de la petite Russie à l’Europe. Bien au contraire l’influence slave persiste avec la victoire de Viktor Ianoukovytch aux élections présidentielles de 2010, et signe le retour des élites pro-russes. Le coup de théâtre se produit en novembre 2013, après cinq années de négociation le président Ianoukovytch rejette l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine, qui aurait signifié une emprise prononcé de l’Europe, par extension de l’OTAN. Ivre de colère suite au manquement de son dirigeant, le peuple ukrainien se soulève dans l’ouest et le centre contre le pouvoir et réclame un rapprochement avec l’Union Européenne. Le 25 avril 2014, le régime s’effondre sous la pression de la rue. Il se produit alors la première grande bavure diplomatique de notre siècle, le gouvernement de l’UE se jette sur l’opportunité d’intégrer l’Ukraine, c’est sans compter sur la Russie.

Les forces russes lors de l’assaut de la base aérienne de Belbek en Crimée. © REUTERS/Shamil Zhumatov
En 2008, lors de la crise géorgienne, le Kremlin intervient sous prétexte de protéger les minorités slaves, il en fait de même en Ukraine. Kiev compte pour 17% de citoyens d’origine russe, qui se concentre dans l’est et en Crimée. Le 23 février 2014, le nouveau gouvernement ukrainien supprime le russe comme langue officiel, suscitant l’inquiétude parmi les populations russophone. Pour Vladimir poutine, le point de rupture est atteint, l’influence de la Russie en Europe est en danger. La prise de la Crimée ne poursuit pas seulement la volonté de conserver une place stratégique pour l’armée russe, le port de Novorossiysk donne un autre accès à la mer noire. Il possède ainsi un moyen de pression à l’intérieur des frontières ukrainienne, sans oublier qu’il ôte un outil stratégique à Kiev. L’escalade aurait pu en rester là, la proclamation des républiques de Donetsk et Lougansk accentue les tensions. Il existe une dynamique indépendantiste depuis 2005 dans le Donbass, avec la création d’une organisation politique en faveur de la fédéralisation de l’Ukraine et d’une autonomie accrue de l’oblast de Donetsk. Vladimir poutine se sert de ces mouvements pour affaiblir le gouvernement centrale dUkraine, par l’envoi de troupes et de matériels lorsque les “rebelles” montrent les premiers signes de faiblesses. La capture de soldats russes ou l’engagement de l’avion MH-17 montrent la présence ou tout du moins l’encadrement de ce conflit par les forces armées de Moscou. Il est impossible sans formation et un matériel de pointe, d’abattre un avion de ligne à plus de 10 000 mètres sans relevé radar. L’année 2014 voit la montée en puissance des rebelles et une augmentation des tensions dans toute l’Europe. Les deux réunions diplomatiques de Minsk ( Septembre 2014 et Février 2015) amènent le conflit vers un règlement pacifique. Tout optimisme reste à tempérer, Vladimir Poutine possède avec les régions séparatistes un moyen durable pour intervenir dans les affaires intérieures Ukrainiennes. La solution ne peut venir que d’une Europe forte et soudée, bien loin du regard des U.S.A.
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