* De gauche à droite, Hong-Kong, manifestation du 12 juin 2019, port de Hong-Kong, reconnaissance faciale.
Le mouvement contestataire des dernières semaines s’inscrit dans un processus de mise au pas de la région autonome spéciale – RAS – de Hong-Kong. Cette éruption révolutionnaire n’est pas une première, mais sa violence et sa durée le sont. La proposition sur la loi d’extradition et sa possible application semble pour nombre de Hong-Kongais, le coup de trop. Cette région est l’une des plus riches places financières mondiales. Son fonctionnement économique et politique apparaît comme l’antithèse du modèle chinois. La coexistence amorcée en 1997 se compliquait par des différences idéologiques majeures. La formule “un pays, deux systèmes” permit le maintien d’un statut-quo, et la démonstration que la Chine opérait un changement en s’ouvrant à l’économie de marché. Pourtant, la RAS doit totalement intégrer la première puissance mondiale en 2047 et pour se faire, le PCC – Parti Communiste Chinois – prépare l’enclave démocratique en mettant ses hommes à des postes clés.

19 décembre 1984, Deng Xiaoping rencontre Margaret Thatcher concernant la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. Dans l’après-midi sera signé la déclaration conjointe sino-britanique du transfert de Hong-Kong pour le 1er juillet 1997.
Deux peuples, deux mondes
D’un coté la République Populaire de Chine et son système totalitaire, de l’autre Hong-Kong et sa démocratie libérale. Le retour en 1997 de cette région au sein du continent a pu se faire grâce au concept accepté par les deux partis : “un pays, deux systèmes“. La gestion des affaires étrangères passe entre les mains de Pékin, et la politique intérieure reste Hong-Kongaise. La rétrocession finale, c’est à dire la sinisation totale de la région autonome sera pour 2047, en théorie. Zhongnanhai – la présidence chinoise – teste les différentes options préparatoires pour faciliter l’absorption de l’ancienne colonie britannique. Le nouveau mode de désignation du chef de l’exécutif de l’île(1) a été adopté en 2014, malgré le mouvement des parapluies. En confiance, Pékin soumet en 2019 un projet de loi sur l’extradition, qui facilitera la mise au pas des dissidents résidant à Hong-Kong(2). Parallèlement à cela, le pouvoir central affine ses outils de contrôle sur le continent, avec la reconnaissance faciale, la mise en place d’une notation sociale et l’encadrement total des données numériques(3). Pour la population de l’enclave démocratique, cette nouvelle tentative a pour finalité l’installation du système de coercition. Les habitants de cette place financière voient dans les libertés individuelles, un mode de vie et un moyen de s’épanouir. A contrario, le peuple du continent accepte la dureté du régime et l’absence de libertés individuelles comme un prix à payer pour la croissance. Nous n’avons donc pas seulement “un pays, deux systèmes”, mais deux peuples avec deux modes de vie diamétralement opposés. Les dernières manifestations montrent la difficulté auquelle fait face le comité central.
Un parti communiste anxieux ?
L’empressement du PCC apparaît comme une exception de la politique chinoise. Pour le pouvoir, l’Empire du Milieu est un état plurimillénaire et les autres nations ne sont qu’un instant de l’histoire. Le temps joue pour eux, pas pour les autres, comme l’illustre l’incident avec Taipei en 1996(4). Alors pourquoi se presser avec Hong-Kong ? Au contraire de Macao(5), la péninsule contrecarre l’influence chinoise depuis des décennies. Elle est le contre exemple flagrant qu’on peut réussir sans l’idéologie autoritaire de Pékin. Pour agir, Zhongnanhai utilise le droit pour grignoter petit à petit le modèle Hong-Kongais. Le recours a ce levier montre à quel point la ville pose problème. Pékin dispose d’une grande expérience dans la gestion d’idéologies subversives et de l’usage de la répression. La réussite de la politique d’assimilation au Tibet et au Xinjiang repose sur l’isolement de ces régions. Le pouvoir verrouille tout flot d’information et peut opérer en toute impunité. Il ne peut agir ainsi dans la troisième place financière mondiale avec des citoyens hyperconnectés. L’ancienne colonie britannique possède de nombreux pares-feux, un poids international reconnu, la présence des réseaux sociaux et une population affichant son attachement à la démocratie. Des vidéos d’arrestations massives et de manifestants molestés ou tués seraient dramatiques pour la Chine. Pékin cherche à discréditer le mouvement en dévoilant des photos d’occidentaux(6), qui dirigeraient et amplifieraient les manifestations. Le PCC ne peut que laisser pourrir la situation et faire preuve de prudence. Il faut aussi montrer aux chinois que le pouvoir garde la main, d’où la mobilisation de militaires à Shenzhen(7). A l’heure actuelle, la mobilisation ne faiblit pas après trois mois et la situation risque de s’envenimer. Une intervention armée aurait des conséquences inattendues, tant au niveau intérieur, qu’extérieur. Les dirigeants ont donc choisi une autre option, attendre que le mouvement s’essouffle. Le gouvernement chinois compte encaisser les coups et attendre que l’impact économique des manifestations affaiblisse suffisamment la cité-État, pour intervenir et en finir.

Le 1er juillet 2019, le parlement de Hong-Kong est investi par des manifestants, qui déploient l’Union Jack.
Hong-Kong, une ville portuaire
Cette ville de par sa situation géographique peut être isolée au vu de sa dépendance. La RAS est un archipel d’îles dont les constructions s’étendent sur la péninsule. Il s’agit d’un des plus grands ports mondiaux(8). Nous l’avons déjà évoqué, mais il s’agit de la troisième place financière derrière New-York et Londres. D’un point de vue énergétique, la cité couvre la majeure partie de ses besoins avec quatre centrales thermiques. Elle a commencé ces dernières années à importer de l’énergie de la centrale de Shenzhen, en quantité limitée. Les denrées alimentaires proviennent majoritairement des importations dont 24 % de Chine(9). Pékin dispose de leviers pour faire plier Hong-Kong, sans oublier la force armée. La mise en place d’un blocus est possible, mais provoquerait une onde de choc mondiale. Les conséquences économiques seraient catastrophiques pour le système économique international et chinois. Il ne faut pas oublier que Hong-Kong a permis dans le passé à la Chine de contourner les sanctions américaines suite à son intervention en Corée. Aujourd’hui, elle permet à Pékin de s’en servir comme plateforme pour organiser des conventions scientifiques et obtenir des avancées techniques. Les scientifiques chinois peuvent de moins en moins avoir de visa pour les USA. Perdre Hong-Kong à l’heure du différent commercial avec Washington, c’est abandonner un hub occidental capital. Il ne serait alors plus possible de se renseigner et de se doter de technologies essentielles. Une poursuite de la crise sur le long terme émulerait les envies de libertés des dissidents chinois. Le Xinjiang et le Tibet pourraient tirer leur épingle du jeu, et ce malgré une importante présence militaire dans ces zones.
La partie est donc jouée ?
Le processus d’intégration de cette cité-État en 1997 servait la soif d’ouverture et de modernisation de Deng Xiaoping, qui voyait en Hong-Kong l’avenir de la Chine – particulièrement au niveau économique -. Les luttes de pouvoir au sein du Parti communiste et la nomination de Xi Jinping infléchit le virage libéral amorcé des décennies auparavant(10). Le régime devient de plus en plus autoritaire avec une concentration des pouvoirs et un contrôle poussé de la population. L’intégration de l’enclave démocratique en 1997 servait de point de départ dont la convergence finale aurait lieu en 2047. Force est de constaté que les deux systèmes n’ont jamais été aussi éloigné l’un de l’autre. Le point de rupture a été atteint, et les options pour Pékin sont limitées. La stratégie adoptée a l’heure actuelle s’avère la plus adaptée. Plus le temps s’écoulera, plus la place financière perdra de son poids économique et par conséquent les classes aisées soutiendront de moins en moins le mouvement. Elle deviendra donc plus dépendante d’une aide extérieure, une aide chinoise. Il est à noté que ces manifestations ne sont pas seulement une révolte contre une politique liberticide, mais portent des revendications sociales. La ville se compose pour une grande partie d’une classe populaire, qui souhaite une amélioration de sa situation. Le mouvement lancé par la loi d’extradition se poursuit sur sa lancée et se complexifie, malgré la reculade de Carrie Lam(11).
Quelque soit le scénario, le mouvement contestataire de Hong-Kong montre qu’un autre fonctionnement est possible. L’idée fait lentement son chemin et met le parti communiste dans une situation inconfortable. Le prix a payer pour être la première puissance mondiale n’est pas forcement celui de la liberté.
(3) https://www.franceinter.fr/monde/la-chine-distribue-des-bons-et-des-mauvais-points-a-ses-citoyens
(4) Après des manœuvres agressives, la Chine tempère son action suite à l’envoi de 2 porte-avions dans la zone sur ordre du Président Clinton. https://www.universalis.fr/evenement/8-26-mars-1996-manoeuvres-d-intimidation-a-la-veille-de-l-election-presidentielle-taiwanaise/
(5) L’enclave portugaise connut une émeute le 3 décembre 1966 portée par une partie de la population pro-communiste et entérina l’influence de la Chine sur la ville. Cette dernière se caractérisa par la signature d’un accord comportant entre autres, l’interdiction pour la cité de donner asile aux membres du Kuomintang -nationalistes-. https://www.ina.fr/video/CAF96062874/index-video.html