La Turquie d’Erdogan

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Durant six cent ans, l’Empire Ottoman règne sur un territoire immense, allant de l’Asie à  l’Europe, en passant par l’Afrique. En 1923, après deux siècles de lente déliquescence, une révolte nationaliste conduite par le général Mustafa Kémal(1) abolit le sultanat. Elle a pour objectif de faire entrer la Turquie dans l’ère moderne. L’armée joue un rôle primordial dans la formation de ce nouvel État. Elle se montre soucieuse de peser dans les affaires du pays, en ayant recours à des putschs(2). Les militaires se posent en héritier du système laïque instauré par le Président Kémal.

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La fin des années 1990 et le début des années 2000 voient l’émergence du parti islamo-conservateur (AKP) se posant en héritier spirituel de l’Empire Ottoman. Une lutte de pouvoir va opposer Recep Tayyip Erdoğan, leader de l’AKP, à l’armée. Le procès Ergenekon consacre la victoire des conservateurs(3). Dès lors, le nouveau leader de la Turquie s’attèle à consolider son pouvoir. Dans ce contexte éclate le conflit Syrien et la montée en puissance de l’État Islamique(EI). Ankara se tient à distance de la ligne occidentale en n’intervenant pas contre l’organisation terroriste, et en facilitant le passage des djihadistes. L’EI affaiblit les États voisins ouvrant la voie à de possibles acquisitions territoriales, tout en empêchant les kurdes de constituer une région autonome en Syrie. La défaite des belligérants au profit de l’EI  donnerait de facto de nouvelles terres aux turcs.

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Carte représentant le partage du proche-orient par confessions et ethnies pensé par Ralph Peters en 2006. L’émergence de l’EI et des revendications kurdes incarnent une nouvelle forme de nationalisme.

En août 2016, Erdogan passe à l’action en Syrie avec l’opération “Bouclier de l’Euphrate”(4). Il s’agit d’atteindre deux objectifs, pénétrer le territoire syrien en usant de milices turcophones et ôter toute prétention territoriale kurde. L’assaut lancé par la coalition occidentale sur Raqqa, capitale syrienne de l’EI, prend de cours Erdogan. Il voyait la capitale du califat comme une future possession, tout comme ce qui se trouve à l’ouest de l’Euphrate. Ankara ne compte pas faciliter la tache aux peshmergas, en bombardant leurs positions. Le pouvoir turc obtient même la récupération de  la ville de Manbij grâce aux USA, prise par les kurdes en août 2016(5). Les futures victoires du régime dans les autres zones rebelles(6) ne risquent pas d’aboutir à une confrontation militaire avec Ankara. La Turquie ne prendrait pas le risque d’intervenir sans l’autorisation du Kremlin. En laissant les turcs intervenir, Vladimir Poutine se libère de la pression concernant son intervention sur Alep, focalise l’attention de Washington sur Raqqa, et amène la Turquie dans un bourbier dont elle ne pourra se libérer sans l’aide de Moscou.

Struggle for al-Bab FINAL

En prenant possession de Manbij, les turcs ôtent toutes possibilités de continuité territoriale kurde et se positionnent près de Raqqa.

En Irak, la situation est plus claire, les kurdes ont constitué un territoire autonome, et l’armée irakienne est fonctionnelle. Les turcs possèdent une base proche de Mossoul contre l’avis de Bagdad. Cette présence militaire n’a pas pour objectif premier de prendre la cité, mais de profiter des écarts ou des faiblesses des forces armées irakiennes. Il faut se rappeler que les effectifs de Bagdad comptent en majorité des chiites, et ces derniers ont commis des atrocités lors de la reprise de Fallouja(7). Si cela se reproduit, Ankara pourra se poser en protecteur des minorités sunnites et ainsi récupérer ces territoires. La poursuite du projet d’autonomie des Kurdes d’Irak  ne peut se faire sans une entente avec Erdogan. Il parait évident qu’il s’agit ici d’user en commun de l’affaiblissement de cet État.

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La stratégie du nouveau sultan turc est risquée, elle a faillit lui couter le pouvoir lors du coup d’état miliaire de juillet 2016(8). Elle a attisé les tensions avec la Russie lors de l’accrochage de novembre 2015(9). L’Europe perd patience face aux chantages concernant les réfugiés et l’augmentation de la répression (10). Si la politique d’Ankara échoue, le prix sera lourd, allant d’une absence de crédibilité à l’international à un embourbement en Syrie et en Irak, voire pire. Certes, ces territoires sont riches en ressources, mais le prix n’est-il pas trop élevé pour recréer une bribe de l’Empire Ottoman  ?

*Illustration à la une de gauche à droite : le Président Erdogan, troupes turcs en Syrie, occupation du pont du Bosphore lors du coup d’État de juillet 2016, et Palais Présidentiel.

(1) https://www.herodote.net/29_octobre_1923-evenement-19231029.php

(2)https://fr.sputniknews.com/international/201607161026732424-turquie-putsch-histoire/

(3)http://www.lemonde.fr/europe/article/2010/02/25/le-proces-ergenekon-ebranle-la-turquie_1220669_3214.html

(4)http://www.rfi.fr/moyen-orient/20160825-turquie-syrie-pyd-ypg-kurdes-etat-islamique-ei-erdogan

(5)http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/11/16/97001-20161116FILWWW00081-syrie-les-miliciens-kurdes-vont-se-retirer-de-manbij.php

(6) La Russie et le régime syrien contraignent les rebelles à l’évacuation le 15 décembre, ce qui permet à Damas de redéployer ses troupes. La fin de mandat présidentiel aux USA conduit à un flottement de la politique internationale américaine et de son impact dans le monde. Les loyalistes souhaitent profiter de ce temps mort avant la nomination de Trump, le 20 janvier 2017.

(7)http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/06/09/les-milices-chiites-irakiennes-accusees-d-exactions-a-fallouja_4945176_3218.html

(8)http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/07/16/en-turquie-m-erdogan-mate-une-tentative-de-coup-d-etat_4970596_3218.html

(9)http://www.lefigaro.fr/international/2015/11/24/01003-20151124ARTFIG00109-la-turquie-abat-un-avion-militaire-russe-pres-de-sa-frontiere-avec-la-syrie.php

(10)http://www.lepoint.fr/monde/turquie-ue-le-grand-chantage-08-08-2016-2059700_24.php

One thought on “La Turquie d’Erdogan

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