“De tout cela, il reste les effets spectaculaires de la modernisation économique(1) qui ont permis au pays, dans un monde dominé par les super-grands, de s’imposer comme une des principales puissances moyennes. Le résultat n’est pas mince. Mais qui eût cru en 1945 que le choix n’était pas tant entre la grandeur et la médiocrité, au sens étymologique du terme, qu’entre la médiocrité et le ravalement au rang des petites puissances ? “(2)
Ce bouleversement de la géopolitique internationale issu de la deuxième guerre mondiale, le Général de Gaulle l’a bien compris et la doctrine qu’il a énoncée caractérise la politique extérieure française pendant plus de cinquante ans. La souveraineté guide cette volonté de faire de notre nation un acteur dans le concert mondial au milieu des hyperpuissances(3). Les recherches sur l’énergie atomique servent cet objectif autant au niveau militaire, que civil(4). L’armée française effectue pour la première fois un essai atomique dans le Sahara le 13 février 1960(5), suivi de la constitution d’un vecteur au travers du mirageIV(6). L’Élysée ne ressent pas le besoin, ni l’obligation de rester dans l’OTAN(7), elle a de quoi frapper l’est en cas d’offensive, avec la Force Stratégique d’Intervention(8). Le redéploiement des forces armées et civiles au travers des accords de coopération sur le continent africain durant la décolonisation, sert cette politique(9). La constitution du pré-carré français, incarné par l’homme de l’ombre qu’était Jacques Foccart(10) fait office de zone exclusive. Cette relation entre la France et ses anciennes colonies permet de rester un acteur incontournable sur le continent, et étoffe les liens commerciaux(11). Encore aujourd’hui les legs de cette politique offrent une capacité de résistance aux tentatives d’implantations chinoises ou russes pour peu que l’on s’y prépare(12). Il faut continuer à pérenniser ces liens, qui sont qualifiés par une langue commune et nous offrent un avantage indéniable. L’Afrique est en partie l’avenir économique de la France et cela nos hommes politiques commencent à le comprendre (13).

Zone Franc et ses trois zones monétaires – Lien du Trésor Public–
Cet héritage des trente glorieuses offre à Paris une influence non négligeable, qu’il faut assumer aujourd’hui. La longue période de paix(14) et la nouvelle nature de l’ennemi(15) modifie les règles d’engagements(16). L’armée française subit une diminution drastique de ses effectifs, qui se fait sentir durant les campagnes armées de 2013 à 2015(17). L’Élysée reçoit l’appui logistique américain, signe d’une impréparation et d’un manque cruel d’équipement de transport lourd. Le calme international relatif de ces dernières décennies façonne la politique extérieure des nations, et par conséquent le rôle des militaires. Il n’y a plus aujourd’hui de politique véritablement indépendante vis à vis des USA, le refus de participer à la dernière guerre du golfe en est la dernière manifestation. Le retour dans le système intégré de l’OTAN a été une erreur dont nous paierons le prix pendant des décennies(18). La France ne fait plus office d’intercesseur indépendant sur lequel on pouvait se reposer. Le Général De Gaulle continue d’être adulé et cité, faute de personnalité comprenant les enjeux présents et futurs. Comment faire dès lors pour infléchir la tendance et poursuivre une politique saine et indépendante? Il n’est bien sûr pas question de quitter l’Europe, outil de puissance indéniable, ni de délaisser l’Afrique. Il faut à nouveau s’affirmer face aux grandes nations et aux puissances émergentes, mais avec quels moyens ?
Avant tout chose, la doctrine de l’indépendance française date des années soixante, époque où le concert des nations s’est agrandi avec la venue des hyperpuissances Américaine et Soviétique. Paris cherchait déjà à se positionner entre les deux titans, ce qui a été fait avec un certain brio. Aujourd’hui, le jeu international se complexifie, de nombreuses nations de puissances moyennes émergent, ainsi que de futures hyperpuissances(19). Une remise à niveau doctrinale s’avère nécessaire : notre place doit être celle d’une nation dont on cherche simplement à s’attirer les faveurs, sans pour autant en avoir peur(20). Tout projet politique de ce type se doit de répondre à quatre critères :
- L’indépendance énergétique. Les hydrocarbures, les minerais(21) et les terres rares(22) constituent pour la France l’essentiel des produits utiles pour l’industrie civile et militaire. Ces matières premières sont importées d’Afrique, du Proche-Orient, de Russie et de Chine. La diversification de nos fournisseurs évite de subir diverses pressions. En cas de crise majeure, cette méthode risque d’être mise à mal par le contexte géopolitique mondial(23). L’option la plus réaliste réside pour une part dans la fourniture de denrées par nos propres moyens (l’autosuffisance) et par l’importation, ainsi en cas d’impondérable avec l’un ou l’autre, les retombées seraient limitées. L’immensité du territoire maritime français nourrit l’espoir d’une trouvaille dans le domaine pétrolifère, qui est pour l’instant plus que contrarié(24). L’exploitation des richesses de notre sous-sol marin offre une opportunité unique, n’oublions pas que la France est le deuxième territoire maritime mondial(25). Avec les avancées technologiques des prospections et des forages marins, Paris peut exploiter une richesse qui lui tournait le dos depuis bien trop longtemps. Il ne faudrait pas moins d’une décennie avant d’en exploiter pleinement les premiers puits et gisements.

Le champ de nodules de manganèse découvert par les chercheurs à 4000 m de fond dans l’océan Atlantique (Ph.Nils Brenke, CeNak)
- Le contrôle de notre espace. Outre les matières premières, les positions stratégiques que nous offrent nos possessions maritimes sont uniques, la France se place aux quatre coins du globe. Le développement de notre marine est un passage obligatoire pour maintenir une capacité opérationnelle et pouvoir intervenir rapidement. N’oublions pas que la France est le seul pays au monde avec les USA a posséder un groupe aéronaval complet. Paris a la possibilité de devenir un intermédiaire naturel dans de nombreuses parties du monde. Tout cela ne doit pas nous faire oublier l’importance de l’Europe. Cette union des nations permet par leur association de lutter contre les “hyperpuissances”(26), mais la cacophonie politique et un appareil administratif lourd pèsent sur le potentiel Européen. Une véritable politique construite sur le long terme avec la signature d’accords sur les sujets vitaux pour nos nations serait un point de départ(27). La présence américaine sur notre continent contrarie toute politique de ce type, le traité transatlantique concrétise cette incompréhension du rôle de l’Europe par ses dirigeants.
- L’indépendance alimentaire. La France dispose du plus grand territoire agricole européen(28), mais son manque d’évolutivité et la législation pèsent sur ses capacités(29). C’est une puissance mondiale de l’agriculture ; le vin, la gastronomie ne sont que les appendices de cette réussite nationale. Pourtant, cette fierté fait face depuis des années à une crise structurelle. La modernisation de l’agriculture affiche une réussite certaine, mais au prix de l’appauvrissement des agriculteurs. Un recadrage des acteurs de la filière et une harmonisation législative sont les seules solutions viables à ce jour. Il ne suffit pas de vouloir produire ou de tomber dans le qualitatif, il faut savoir répondre aux marchés par des offres variées et concurrentielles. Dans le monde de demain avec une population mondiale en forte croissance et une diminution de la production alimentaire mondiale, l’agriculture devient un formidable instrument.
- Les technologies de pointes sont bien sûr un élément indissociable a toute volonté d’indépendance, la France possède des atouts dans ce domaine(30). L’aérospatiale et l’aéronautique(31), le nucléaire(32), ainsi que les matériels militaires(33) manifestent d’une volonté politique forte. L’arrivée de nouveaux acteurs dans ces divers secteurs accentue la concurrence, la mondialisation met à rude épreuve notre industrie. Le plus grand danger réside pour l’instant dans l’espionnage industriel(34) et les rachats d’entreprises par des groupes étrangers, le cas d’Alcatel est pour le moins éloquent(35).
La France parait solide dans cet article, si ce n’est que nous avons devant nous, un simple ensemble de potentialité et avec nous, les legs d’une politique ambitieuse. Pour ne pas perdre les bénéfices octroyés par les sacrifices passés, il nous manque une véritable volonté étatique. L’absence de remise à jour de la doctrine militaire démontre le vide idéologique de notre pays, tout comme le vide juridique concernant la protection de nos fleurons. Une nation sans idéaux est-elle une puissance ? Il n’est pas question ici de développer davantage une thématique en ce sens, la vision de l’avenir ne peut être incarnée par une personne, mais elle doit l’être par l’ensemble de nos élites. Le réveil risque d’être dur, mais au contraire de d’autres peuples, nous avons de quoi travailler.
(1)La croissance française affichait une vitalité exceptionnelle durant l’après-guerre avec une moyenne de 5.3 de 1950 à 1974. http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&id=159
(2)Frank, R. Girault, La puissance française en question ! 1945-1949, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988, citation de G. Bossuat, p153.
(3)Le début de la guerre froide enclenche une bipolarité internationale, on ne peut être ami des soviétiques et des américains, il faut choisir un “camp”. Le prodige de la politique française n’est pas uniquement dans le renoncement à son statut, mais dans une indépendance de fait par ses découvertes scientifiques et son rôle indispensable dans ses anciennes colonies. L’opération de Suez en 1956 permet de voir les limites de cette politique, tout en montrant sa capacité opérationnelle onze ans après la guerre.
(4)Les recherches sur l’atome résultent de la création du “Commissariat à l’Énergie Atomique (C.E.A.)” en 1945 : http://blogs.lesechos.fr/echos-d-hier/18-octobre-1945-naissance-du-a7136.html .
(5)http://www.ina.fr/video/CAF90030711
(6)http://www.dassault-aviation.com/fr/passion/avions/dassault-militaires/mirage-iv/
(7)L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord fait opposition aux troupes du Pacte de Varsovie, le pendant soviétique de l’alliance américaine. Cet organisme ne répond pas aux aspirations de la France de par le contrôle que les U.S.A. exerce sur les nations membres. La politique d’indépendance du Général de Gaulle entre en opposition avec la doctrine américaine, pour qui les intérêts de la France se rapprochent du néant. http://www.charles-de-gaulle.org/pages/revue-espoir/articles-comptes-rendus-et-chroniques/le-7-mars-1966-de-gaulle-sort-de-l-otan-par-raphael-dargent.php
(8)Cet outil concrétise le grand retour de l’indépendance française avec la création de l’arme atomique, la mise au point d’un vecteur et ce tout cela grâce à l’industrie nationale.
(9)L’Afrique permet d’avoir un territoire immense où exercer sa souveraineté, et par ricochet démontre la capacité française à gérer les indépendances pacifiquement. La guerre d’Indochine et d’Algérie deviennent des accidents de parcours.
(10)L’homme de la Françafrique : http://www.rfi.fr/afrique/20150318-france-charles-gaulle-foccart-archives-houphouet-boigny-bat-biafra
(11)La création du Franc “C.F.A.” ( Colonies Française d’Afrique) en 1945 pérennise les liens entre la France et ses colonies au travers de l’économie. Cette monnaie reste aujourd’hui la devise officielle d’un grand nombre de pays francophones et permet à l’Elysée de profiter de ce poids économique, mais offre la stabilité nécessaire à la fondation d’économies modernes aux pays signataires. (Voir https://www.beac.int/index.php/billets-et-pieces/185-histoire-de-lemission-monetaire-en-afrique-centrale et http://www.bceao.int/Histoire-du-Franc-CFA,55.html )
(14)Depuis la guerre d’Algérie, la France connaît la paix depuis plus d’un demi-siècle.
(15)La fin de la guerre froide et l’émergence du terrorisme favorise la constitution d’une nouvelle forme de conflit mêlant subversion idéologique et guerre asymétrique entre des États et des organisations criminelles.
(16)La guerre entre armées laisse place aux frappes chirurgicales et à l’information sur les théâtres d’opérations. Il n’y a pas eu depuis la deuxième guerre mondiale de conflit entre deux forces similaires.
(18)https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-03-13-France-OTAN
(19)On peut citer l’Inde, la Chine, le Nigeria, le Brésil et l’Indonésie.
(20)Cette thématique a été l’axiome de la politique nationale pendant cinquante ans, aujourd’hui elle aurait besoin d’être réactualisée avec de nouveaux outils de puissance.
(23)L’augmentation de la demande en matière première guide les marchés mondiaux vers une raréfaction et les ressources sous-marines apparaissent comme le seul recours viable pour la France.
(24)http://www.20minutes.fr/planete/952949-20120613-fini-nouveaux-forages-petroliers-guyane-francaise
(25)http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/11/29/la-france-geant-maritime-de-demain_1610511_3232.html
(26)L’Union semble incapable pour l’instant de surmonter ses divisions et de permettre aux nations de s’émanciper mutuellement. L’administration de Bruxelles souffre de sa lourdeur administrative et de son manque de réalisme, la guerre en Ukraine et la crise migratoire l’attestent.
(27)La volonté d’avancer sur tous les fronts contrarie l’entente des membres et met en avant les divergences. Il faut aller à l’essentiel.
(29)De nombreuses nations (Brésil, Chine, Indonésie, Allemagne) favorisent la quantité sur la qualité et exportent ainsi leurs denrées plus facilement.
(30)Nous pouvons le voir avec les dépôts de brevet : http://www.huffingtonpost.fr/2015/02/26/brevets-entreprises-france-2014-alcatel-technicolor_n_6758926.html
(31)http://www.blog-ccfcmtl.com/lindustrie-aeronautique-et-aerospatiale-francaise/
(32)Malgré ses déboires Areva reste un acteur de poids. http://www.20minutes.fr/economie/1623059-20150603-avenir-france-doit-donner-industrie-nucleaire